Retraite par Jean Vanier, 25 novembre 1979
1e conférence - Eglise
Sainte-Marthe (Canada)
Je crois que, comme vous tous, j’arrive avec mes
fatigues, j’arrive avec mes responsabilités, j’arrive avec mes soucis ; et
nous allons passer une semaine ensemble, où on ne désire qu’une chose, c’est
d’écouter Jésus. Je crois que c’est la 11e ou 12 e
année que je prêche des retraites, et je vous avoue que chaque année que je
prêche une retraite nouvelle, ce n’est pas plus facile. Je dirais au contraire :
plus j’avance en âge, plus je trouve difficile d’annoncer la Parole... D’abord
parce que je mesure tout le décalage entre la parole de Jésus qu’on est appelé
à annoncer et ce que je vis. C’est pour vous demander qu’au début de cette
retraite, vous soyez bien attentifs à prier. Priez pour moi, pour que je puisse
faire l’oeuvre que Jésus désire, que sa Parole soit annoncée, que ce ne soit
pas ma parole mais la sienne. Je n’ai pas besoin de vous dire aussi que la
parole que j’annonce, que je voudrais être seulement l’Evangile, c’est-à-dire
l’annonce d’une bonne nouvelle, et l’écoute que vous êtes appelés à avoir de ma
parole, n’ont de raison d’être que si elles vous amènent à écouter Jésus dans
le silence de votre être. Ma parole n’a de raison d’être que si elle amène à la
Parole secrète de Jésus dans nos coeurs. La promesse de Jésus, c’est qu’il nous
a donné à chacun son Esprit. La promesse de Jésus, c’est que son Père et Lui
viennent vivre à l’intérieur de nous ; et ma parole doit vous conduire au
silence, pour que vous preniez beaucoup de soin à écouter Jésus dans ce qu’il a
à dire.
Une retraite est un temps important et ce qui se
réalise est l’oeuvre de Dieu. C’est pourquoi il faut que nous priions pour que
cette oeuvre de Dieu se réalise. Mais une retraite est aussi un temps qui peut
être angoissant. Parce que Jésus est exigeant. Pour nous , nous touchons à la
fois la patience extraordinaire de Jésus, mais aussi son impatience. Et c’est
vrai que Jésus est le grand silencieux. Il est celui qui attend. Mais en même
temps il a un tel désir que nous répondions davantage au don de Dieu, et que
nous devenions des disciples de Jésus avec des coeurs véritablement disponibles
et aimants.
Il y avait un prêtre aux Etats-Unis qui, à la fin de
la messe, disait : « Que la paix de Jésus vous dérange
toujours ». Et c’est vrai que Jésus est le grand dérangeur. Et la plupart
du temps nous tendons à l’éviter, à ne pas le regarder les yeux dans les yeux.
Nous avons tendance à tomber dans des routines, des habitudes, des choses déjà
faites. Nous cherchons tous à être plus ou moins maîtres d’une situation. Et
Jésus, avec ses exigences, nous appelle constamment à lâcher, à nous abandonner
et à être des vaincus.
Alors il ne faut pas s’étonner si une retraite est un
peu un temps d’angoisse. Angoisse parce que nous touchons nos fragilités. Une
retraite est un temps où on découvre, on redécouvre notre pauvreté ; notre
médiocrité, parce que nous sommes des êtres terriblement médiocres. Nous
oublions que nous sommes plus du ciel et plus de la terre que nous n’osions le
croire. Il y a des puissances de haine en nous, comme il y a des puissances
extraordinaires de sainteté et d’amour. Mais nous avons peur de ces puissances
et nous nous enfermons dans un monde très médiocre. Et nous avons peur, et nous
tombons dans les routines et les habitudes que nous connaissons.
Et Jésus vient briser notre médiocrité, durant une
retraite, en nous appelant toujours plus loin. Nous aurons sûrement l’occasion
de rappeler les trois paroles de Jésus : « Viens ! » –
« Demeure ! » (reste avec moi) – et « Va ! »
(rends-moi présent). Et chaque fois que nous entendons cette petite parole de
Jésus, cette invitation – qui est l’invitation d’un pauvre, parce que Jésus
n’impose pas, il propose ; et quand on propose, on est toujours un pauvre,
on n’oblige pas... – quand on entend cette parole :
« Viens ! », c’est toujours pour que nous allions plus loin, que
nous quittions la prison de la médiocrité dans laquelle si vite on s’enferme.
Et c’est à ce moment-là, en découvrant notre médiocrité, en découvrant les
ténèbres, en découvrant tout ce monde à l’intérieur de nous, que nosu pouvons
avoir ces moments d’angoisse et d’inquiétude.
Les deux pôles d’une retraite, c’est à la fois de se
remémorer, se rappeler l’extraordianire promesse de Jésus – Jésus fait des
promesses étonnantes – quand il regarde ses disciples et qu’il leur dit :
« Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde », les apôtres
devaient se dire entre eux : « Eh bien, la terre ne doit pas être
très éclairée ! » Mais Jésus nous redit : « Vous êtes la
lumière du monde ! »Notre problème, c’est que nous ne le réalisons
pas. Alors on fuit à l’intérieur de soi-même, dans les profondeurs de notre
être, on veut couvrir de peur et de médiocrité cette lumière qui brille.
Et Jésus vient nous rappeler la promesse :
« Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde. Vous avez reçu
l’Esprit ». Il vient nous rappeler que, avec sa puissance, rien n’est
impossible. Et nous sommes dans un monde où le désespoir gagne ; nous sommes
dans un monde d’insécurités énormes. Et Jésus vient nous rappeler sa promesse.
Et la grande parole de la promesse de Jésus,
c’est : « Ne crains pas ! N’aie pas peur ! Je suis avec
toi ! »
Alors une retraite, c’est ce temps où on se rappelle,
où on ravive la foi, où on reprend confiance dans cette promesse de
Jésus-Christ. Je vosu disais que cette promesse de Jésus-Christ, ce rappel
vient certainement à travers ce que je suis appelé à vous dire. Mais elle
viendra surtout à travers la présence de Jésus dans chacun de nos coeurs. Parce
que Jésus veut nous parler, il veut nous rappeler qu’il est là présent au plus
profond de nous. Et qu’il s’agit d’entrer à l’intérieur de soi et de l’écouter.
Un de nos problèmes, dans notre vie quotidienne, c’est
qu’on ne reconnaît pas Jésus-Christ. On est tous comme les disciples d’Emmaüs
qui marchaient sur la route, et Jésus était avec eux, il leur annonçait la
Parole. Il leur annonçait la clef de l’Ecriture. Leurs coeurs mêmes brûlaient.
Mais ils ne l’ont pas reconnu.
Et même Marie de Magdala, après la Résurrection. Quand
elle regarde ce jardinier, elle ne le reconnaît pas. Elle et les deux disciples
d’Emmaüs étaient trop pris par leurs propres larmes, trop pris par leurs
propres inquiétudes, trop pris par leurs soucis, trop pris par leurs désirs,
pour le reconnaître.
Et Jésus nous demande, en venant dans une retraite, de
nous débarrasser de beaucoup de choses. Et si on ne se débarrasse pas de
beaucoup de choses, on ne le reconnaîtra pas.
Et puis aussi – cela va sans dire – Je vous fais appel
pour le silence. On est nombreux. Et quand on est nombreux, on risque toujours
de trouver des moments où l’on « sombre » dans la parole. Et je n’ai
pas besoin de vous dire que Jésus nous parle dans le silence. Il est indispensable,
si nous voulons retrouver les puissances de vie et d’amour, la force de
l’Esprit-Saint, qui sont à l’intérieur de chacun de nous, que nous ayons une
âme de silence. Sinon, tu ne le reconnaîtras pas !
Et c’est vrai qu’à notre époque, il y a toujours une
tendance à fuir le silence. Nous sommes tous des êtres qui ont tendance à se
complaire dans le bruit et dans l’hyperactivité. Nous sommes dans un monde
d’hyperactivité, un monde de bruit, et nous avons peur de nosu recueillir,
d’entrer dans le silence. Peur qu’en entrant dans le silence nous nous
retrouvions nous-mêmes avec toutes nos limites, avec toutes nos vulnérabilités,
avec toutes nos peurs. Mais si nous acceptons d’entrer à l’intérieur de
nosu-mêmes, si nosu acceptons d’entrer dans nos vulnérabilités, nos blessures,
nosu découvrirons aussi la présence de Jésus-Christ.
Et une retraite où on est nombreux demande que nosu
ayons de bons moments de silence. Et heureusement, il y a ces (... ?...),
ces lieux de rencontre, ces lieux de silence. Et là je vous fais un appel. A
chacun : « Profites-en, prends du temps, prends du temps pour le
silence. Prends du temsp pour entrer à l’intérieur de toi-même, pour regarder
ce visage de Jésus et pour l’écouter.
Si nous savions le don de Dieu – C’est Jésus qui dit
cela à la femme de Samarie : « Si tu savais le don de Dieu et celui
qui te parle, ce serait plutôt toi qui lui demanderais à boire, et il te
donnerait de l’eau vive ». Si nous savions ! Si nous savions ce don
extraordinaire que Jésus nous fait, cette présence de Dieu à l’intérieur de
nous... Ce que Jésus veut de nous, c’est que nous reprenions confiance en
nous-mêmes. Reprendre confiance en cet amour de Jésus qui est vivant à
l’intérieur de nous. Reprendre confiance en cette force qui est là, dans ce don
de l’Esprit, dans cette lumière à l’intérieur de nous, dans ce visage de Jésus
caché à l’intérieur de nous. Il nous demande de reprendre cette confiance,
d’entrer à l’intérieur de nous-mêmes, de redécouvrir l’appel et surtout de
redécouvrir sa voix. Sa voix qui dit à chacun de nous : « Ne crains
pas, je suis avec toi ! »
Il y a la parole extraordinaire d’Isaïe 43 :
« Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom et tu es
à moi. Si tu passes par les eaux, tu ne seras pas submergé, si tu passes par le
feu, tu ne seras pas brûlé, car je suis le saint d’Israël. Tu es précieux à mes
yeux, et je t’aime. Ne crains pas, car je suis avec toi ».
Et quand on découvre ce don, cette grâce, ce
cadeau : « c’est vrai que
Jésus est avec moi », à ce moment-là ,l’impossible devient possible,
l’ennemi que je n’aime pas, la personne avec qui je suis bloqué, les choses que
je trouve difficiles, les impatiences, les colères, ..ces lassitudes, ce manque
d’enthousiasme et de flamme ces manques de confiance, ces dépressions ,ces tristesses,
tout cela tombe, parce qu’on reprend confiance dans ces paroles de Jésus :
« Ne crains pas ! » « Je suis avec toi. »
Une retraite, c’est le temps où on reprend conscience
de cet appel initial : il y a eu des moments dans chacune de nos vies, où
nos cœurs brûlaient...Il s’agit, pour chacun de nous, dans cette retraite, de
retrouver ce premier amour, de retrouver cet appel de Jésus qui nous dit :
« Viens ! »J’ai besoin de toi, je t’aime. » Que nous
découvrions cette vocation extraordinaire qui est la nôtre, qui est de rendre
Jésus présent à notre monde, de le représenter ; c’est cela le don de
Jésus ; c’est qu’il demande à chacun de nous de le rendre présent, de le
représenter. Comme Jésus rend présent le Père, et pour que le monde sache,
connaisse le visage de pardon du Père, il fallait qu’il regarde le visage du
pardon de Jésus. C’est en regardant le visage
et les yeux de Jésus que nous
découvrons le visage et les yeux du Père.
C’est pourquoi, à la demande de Philippe,quand
Philippe demande à Jésus : « Montre-nous le Père, et cela nous
suffit ! » Jésus dit : « Ne sais-tu pas encore que celui
qui me voit, voit le Père. »
Et comme Jésus rend présent le Père, nous les
disciples de Jésus, nous rendons présent Jésus. C’est çà notre don. Notre rôle
et notre vocation. C’est de rendre Jésus présent à notre monde.
Et nous devrions pouvoir dire à ce monde en quête de
salut, à ce monde qui ne connaît pas Jésus...nous devrions être,chacun de nous
, ce visage de pardon, ce visage d’espérance, qui rend présent le visage de
pardon et le visage d’espérance de Jésus.C’est cela notre vocation. C’est
pourquoi Jésus dit que c’est lui la lumière
du monde, et nous aussi nous sommes la lumière du monde.(...) Comment le
monde peut-il connaître Jésus, si nous qui sommes ses disciple, nous ne le
rendons pas présent ?
C’est pour cela que Jésus dit à ses disciples peu de
temps avant sa mort : « On saura que vous êtes mes disciples par
l’amour que vous avez les uns pour les autres. » C’est la tendresse, la
fidélité que vous avez les uns pour les
autres, qui fait que le monde saura que vous êtes véritablement les disciples
du Ressuscité.
Quand les Israélites sont sortis du pays d’Egypte, ce pays d’esclavage, ce
pays de l’oppression, quand ils se sont retrouvés dans le désert, ils
murmuraient contre le prophète. Et Dieu a envoyé le pain quotidien. A un peuple
qui avait faim, le Père a envoyé du ciel la manne, le pain quotidien. Aux
peuple aujourd’hui qui ont faim, Dieu n’enverra pas du ciel le pain, mais il
demandera à ceux qui le rendent présent d’utiliser leurs intelligences et leurs
coeurs et d’oeuvrer pour la justice et la vérité dans le monde.
Jésus inspirera ses disciples pour qu’ils oeuvrent
pour la justice : quand aujourd’hui des gens sont enfermés dans des
asiles, Jésus ne va pas ouvrir les portes et dire :
« Sortez ! ». Non, il va inspirer ses disciples pour qu’ils le
rendent présent, pour qu’ils accueillent les pauvres et ceux qui sont dans le
besoin, dans leurs propres maisons, des maisons créées pour eux.
C’est vrai que notre monde crie de désespoir. Il y a
un vaste monde de pauvres sur notre terre. Et Jésus ne peut répondre à leur
appel qu’à travers nos yeux, nos mains, nos intelligences, nos coeurs. Si Jésus
est le plus grand dérangeur, si la parole de Jésus qui dit « Viens et
suis-moi », nous dérange dans nos habitudes et nos peurs, de la même
façon, l’appel du pauvre, du Tiers-monde ou de nos pays, dans notre ville, dans
notre famille, notre communauté, notre lieu de travail, celui qui n’arrive pas
à se débrouiller tout seul, qui se sent brisé, ou qui se sent dans le
désespoir, qui ne s’en sort pas ...Cette parole du pauvre qui dit :
« Viens », ça nous dérange ! Et ce n’est que nos mains, nos
yeux, notre intelligence et notre coeur qui rende présent Jésus-Christ à ce pauvre
qui crie.
Un temps de retraite,
c’est un temps où on se souvient de cette vocation qui est la
nôtre : rendre Jésus-Christ présent. Et si aujourd’hui notre monde ne
connaît pas l’extraordinaire bonne nouvelle , cette espérance extraordinaire
qu’il vient nous apporter, cette espérance de paix sur notre terre, surtout la
paix dans les coeurs, ce que nous ses disciples, nous ne l’avons pas rendu
présent. Nos yeux n’étaient pas les yeux
de Jésus, nos mains n’étaient pas les mains de Jésus, notre intelligence
n’était pas l’intelligence de Jésus, et notre coeur n’était pas le coeur de
Jésus. Jésus nous demande de redécouvrir
cette vocation première qui est la nôtre, de la rendre présent à notre monde.
Et nous découvrons si vite les ténèbres de médiocrité
qui sont en nous. Ces peurs, ces craintes, ces lassitudes, cette recherche de
sécurité et de confort, , ce besoin de maîtriser et de contrôler ma propre
vie et la vie des autres. Jésus, durant cette retraite, nous
demandera de pénétrer à l’intérieur de nous. Et c’est un voyage qui parfois est
douloureux : regarder l’hypocrisie et pénétrer dans les ténèbres qui sont
à l’intérieur de chacun de nous.
On ne peut faire ce voyage à l’intérieur que si nous mettons notre main
dans la main de Jésus, que si nous mettons notre main dans la promesse de
Jésus, dans cette espérance que notre
appel, c’est de le rendre présent. Et son appel, c’est qu’il nous ressuscite, qu’il nous fait pénétrer à
travers les ténèbres pour découvrir sa présence. Quand on touche nos ténèbres,
notre hypocrisie, alors nous crions vers lui. Et nous disons :
« Viens, Seigneur Jésus,
viens. » Viens changer mon
coeur de pierre, donne-moi un coeur de chair. Apprends-moi à
aimer. Fais que je puisse véritablement te rendre présent à mes
frères.
Jésus est venu dans un monde de haine, de guerre et
d’oppression. Il est venu pour annoncer une bonne nouvelle. Il est venu pour
apporter la liberté aux opprimés, la vue aux aveugles, la liberté aux captifs,
et annoncer une année favorable du Seigneur. Et il nous appelle à être chacun
de nous cette présence de Jésus, ces homes et ces femmes qui apportent la paix
sur la terre, ce visage de paix et de réconciliation. C’est notre vocation
(...)
Voyage extraordinaire à l’intérieur de nous-mêmes (ces
5 jours de retraite), pour que nous découvrions notre pauvreté, le visage de
pardon et la promesse, cette promesse du don de l’Esprit, cette promesse de
nous transformer, pour que nous puissions être ce visage de pardon et de
miséricorde pour nos frères, que chacun de nous devienne cet homme et cette
femme de paix, dans le monde, dans sa famille, dans son milieu de travail. Un
instrument de paix.
Ce que Jésus nous demande ce soir, devant cette
aventure où il va nous conduire, c’est d’avoir le coeur disponible. Et c’est
tout ! Si chacun de nous ce soir peut avoir le coeur de Marie, quand elle
a dit : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon
ta parole ». Si notre coeur est un coeur ouvert, si notre coeur vulnérable
– parce que nous sommes si terriblement vulnérables... Si vite on a peur, si
vite hélas on a peur même de Jésus – si nous pouvons ouvrir ce coeur, pour que
l’Esprit saint puisse venir, pour qu’il puisse conduire pendant ces cinq jours,
pour qu’il puisse accomplir son oeuvre de purification, pour qu’il puisse nous
montrer tous ces coins et recoins qui sont loin d’être convertis, pour qu’il
puisse nous montrer toutes ces choses en nous qui empêchent l’action de Dieu de
passer, et ce qui nous empêche de le rendre présent, tout ce qui est scandale
en nous... Vous savez que chacun de nous, nous avons beaucoup à demander pardon
à nos frères et à nos soeurs qui ne croient pas en Jésus-Christ, parce que tant
de fois nous avons été objet de scandale, par nos duretés, par nos hypocrisies,
par des attitudes dures, par nos manques de vérité, par nos lassitudes, par nos
manques de confiance... Nous avons été objet de scandale. Parce que, tout en se
disant disciples de Jésus, nous n’avons pas été le visage de Jésus. Nous avons
été des êtres qui condamnaient, qui jugeaient, nous n’avons pas été le visage
de miséricorde que Jésus voulait que nous soyons. Nous avons beaucoup à
demander pardon.
Et ce soir, tout ce que Jésus nous demande, c’est
d’avoir ce coeur disponible. Ces paroles de Marie, dans cet état de disponibilité
par rapport à Jésus-Christ, par rapport à l’Esprit saint : « Je suis
la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole ». Et les
paroles du petit Samuel, le prophète, quand il entendait son nom :
« Samuel ! Samuel ! » – « Parle, Seigneur, ton
serviteur écoute ! »... Si nous pouvions avoir cette
disponibilité : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! »
« Me voici... »
Jean Vanier – 2e
conférence : Notre vulnérabilité
Le thème de la retraite est « Venons à la
fête ». Voir cette phrase extraordinaire de l’évangile :
« Conviez-les aux noces ». Conviez les pauvres aux noces. C’est ça,
le « Viens ! » de Jésus. C’est d’appeler nos coeurs aux noces.
Malheureusement, le visage qu’on a donné des disciples de Jésus, c’est parfois
le visage de la Loi, du jugement. Nos visages n’étaient pas des visages qui
conviaient les pauvres aux noces.
Alors, ce « Viens à la fête ! Conviez-les
aux noces ! », c’est convier les personnes à une rencontre entre nous, où
il y a la paix. La paix n’est pas l’absence
de la guerre. La paix, c’est la communion. C’est la rencontre entre les
personnes, avec les barrières qui tombent. Qu’on puisse se regarder les yeux
les uns des autres. Qu’on reconnaisse l’autre comme frère ou comme soeur. Qu’on
soit là pour partager et pour donner. Pour être chacun de nous le visage de
Jésus l’un pour l’autre.
Jésus est venu dans une terre de guerre. La terre où
Jésus est venu il y a 2000 ans, il y avait des oppositions tellement
flagrantes, la haine était si vive. Cette terre est toujours une terre de
guerre.
Si chacun de nous entre à l’intérieur de soi-même, il
découvre les peurs et la guerre qui est en chacun de nous.
Alors je voudrais vous parler des origines de la
guerre. C’est notre vulnérabilité. Il faudrait partager là-dessus pour que nous
puissions toucher notre vulnérabilité. Il y a quelques années, j’ai été dans
une prison, dans l’Ontario, à Kingston, à Milheaven, qui est une prison
maxima-sécurité, et j’adressais la parole à environ 400 hommes, dans un
gymnase. Quand j’ai l’occasion de parler à des hommes en prison, je leur parle
d’hommes et de femmes blessés qui ont eu des moments de violence. Et je retrace
devant leurs yeux leur propre histoire.
Après avoir parlé pendant trois quarts d’heure, un
homme dans l’auditoire s’est levé et il a commencé à hurler... Et malgré les 8
ans de marine que j’ai eus, il y avait beaucoup de mots que je ne comprenais
pas : il avait un langage très vif. Et il disait un peu ceci... Je ne peux
pas me rappeler mot à mot, mais ce qu’il m’a dit m’a profondément impressionné.
Il m’a dit ceci : « De quel droit entrez-vous dans cette
prison ? Vous l’avez eu facile ! – Toujours cette phrase :
« Vous l’avez eu facile ! » « Tu l’as eu
facile ! Tu ne comprends rien à notre vie ! » Et puis il a
commencé à dévoiler sa vie : « A l’âge de 4-5 ans, j’ai vu ma mère
violée devant mes yeux. A l’âge de 7 ans, j’ai été vendu en homosexualité pour
que mon père puisse boire. A l’âge de 13 ans, les hommes en bleu sont venus me
chercher (les policiers) ». Et puis il a terminé : « Si un autre
homme entre dans cette prison et parle de l’amour, je lui donnerai des coups de
pieds dans la tête ».
Le cri de violence qui sortait de lui, vous pouvez
l’imaginer, a donné une ambiance électrique. Les gardiens... Toute l’ambiance
était une ambiance d’inquiétude, parce que c’était un homme d’une très grande
puissance. En l’entendant, je lui ai dit simplement : « Oui, tu as
raison, je l’ai eu facile. Et je n’ai aucun droit de venir ici parler de
l’amour. Mais il reste qu’il est important que les gens à l’extérieur de la
prison connaissent vos souffrances. Parce que si vite, les gens à l’extérieur
jugent, condamnent et ne comprennent pas le processus de la violence ». Je
lui ai dit simplement : « Est-ce que vous me permettrez, quand je
suis devant des auditoires divers, de raconter ce que vous venez de dire ?
de répéter à des gens pour qu’ils comprennent mieux ce qui se vit chez
vous ? » Et il m’a dit : « Oui ».
Et j’ai dit : « Je n’ai aucun droit de venir
ici. Mais je peux peut-être être un pont entre vous autres, avec la puissance
de vos souffrances, et ce monde extérieur. Et si le monde extérieur a besoin
d’entendre la puissance de vos souffrances, pour qu’il ne vous juge pas, il est
important aussi que vous, vous connaissiez certaines choses du monde extérieur.
Et ce n’est peut-être pas inutile que de temps en temps je revienne. Mais je ne
reviendrai que dans la mesure où vous le souhaitez. Et je l’ai regardé, et je
lui ai dit : « Est-ce que tu souhaites que je revienne ? »
Il a dit oui.
Après cela, il y a eu d’autres interventions, et quand
tout a été fini, je suis allé directement chez lui, lui serrer la main, et je
lui ai dit : « Dis-moi, est-ce que tu es marié ? » Il m’a
dit oui. Je lui ai dit : « Parle-moi de ta femme ». Alors
ses yeux se sont remplis de larmes, et il m’a parlé de sa femme qui était en
chaise roulante à Montréal. Cet homme qui avait une grande puissance de colère,
de capacité de semer la haine et la révolution, en réalité, c’était un petit
enfant blessé. C’était un homme qui aimait sa femme. C’était quelqu’un qui
souffrait.
Quand vous lisez dans les journaux que, dans une
prison, il y a eu des révoltes, des otages pris, très souvent, à l’origine de
cette révolution, c’est un homme qui vient d’apprendre que sa femme l’a trompé ;
et il est dans l’angoisse. Et quand vous découvrez à l’intérieur des hommes
très violents, en réalité ce sont des hommes qui sont profondément blessés dans
leur coeur.
L’expérience que j’ai – une petite expérience – de la
violence... Dans nos communautés, nous accueillons des hommes qui ont eu de
longues années en hôpital psychiatrique, dont l’image d’eux-mêmes a été
profondément meurtrie, qui ont entendu constamment qu’ils ne servaient à rien,
qu’ils ne faisaient que de la peine à leur entourage et à leur famille... Dans
leur coeur, il y a de telles frustrations, de telles colères, qui cachent une
telle vulnérabilité... Il y avait un prisonnier en France, qui avait écrit une
poésie, qui était un peu comme ceci... C’était un homme qui était entré tôt
dans la délinquance, un homme qui avait été marqué par le rejet de ses parents,
et donc en quête d’un être humain fidèle. Il a écrit une poésie qui était un
peu comme ceci : « Si un jour je marche dans la rue et que tu tends
la main vers moi, si je prends ta main, si en approchant tu découvres qui je
suis et que tu me laisse tomber, ne sois pas surpris si, un autre jour,
quelqu’un me tend la main dans la rue et que je morde cette main ».
Vous savez, le coeur humain est tellement
vulnérable ! tellement vulnérable ! Le coeur du petit enfant est
tellement vulnérable ! Le coeur de l’enfant qui n’a pas eu l’amour et les
soins d’une mère est tellement vulnérable ! Quand vous rencontrez parfois
des hommes très violents, ou quand vous rencontrez parfois de grands malades
mentaux, sachez que ce sont des coeurs très vulnérables qui sont là.
De la même façon, quand vous voyez des hommes
hyper-actifs, chefs d’une usine, qui passent toute la journée à courir, à
faire, à brasser des affaires, sachez que, derrière cette hyper-activité, il y
a un coeur blessé : il ne sait pas s’arrêter, il a perdu contact avec sa
femme, il ne sait pas comment faire. Il ne sait pas comment retrouver cette
relation aimante avec sa femme, qu’il avait quand il était petit.
Quand vous voyez l’homme alcoolique, qui bat sa femme,
qui est difficile à l’intérieur de sa famille, sachez que, derrière cet homme
qui boit trop, qui est peut-être violent, il y a un coeur vulnérable et
angoissé, qui ne sait pas comment faire ; et qui se jette dans la boisson
pour oublier.
De la même façon, quand vous voyez un jeune pris dans
la drogue, qui a pris du LSD, ou n’importe quoi..., sachez qu’il y a là un
coeur vulnérable, qui s’est senti, à tort ou à raison, rejeté, non-confirmé,
qui s’est trouvé devant des situations humaines qui étaient trop difficiles
pour lui, qui a senti ses incapacités à faire face à des problèmes, et qui
finalement a perdu goût à la vie. Et il s’est jeté dans un monde de compensations.
Quand vous entendez parler de terroristes. – Et je
pense aux Palestiniens – Sachez que là où il y a du terrorisme, il y a toujours
des coeurs blessés, vulnérables, qui se sont sentis opprimés, non écoutés, non
aimés, n’ayant aucune valeur pour les autres.
Je dirais que toutes les oppressions du monde... Que
ce soit l’oppression de l’enfant, l’enfant qu’on (?) , l’enfant qui n’est pas touché avec
tendresse, l’enfant à qui on dit tout le temps : « Ne fais pas ceci,
ne fais pas cela ! », l’enfant qui ne reçoit pas de la tendresse...
Derrière ses larmes, derrière ses cris, derrière ses jouets cassés, il y a un
coeur vulnérable. Les divisions de notre monde, quelles que soient ces
divisions, politiques, entre classes sociales, entre les religions, divisions
de races ou divisions linguistiques, ces divisions qui amènent la haine...
Haine morale ou haine psychologique (la haine psychologique étant tout
simplement le refus de parler, le refus d’écouter), toujours, quand on dresse
des barrières en face des autres, quand on les condamne, toujours l’origine,
c’est ma vulnérabilité et leur vulnérabilité.
Vous savez, être vulnérable, c’est se sentir blessé,
parce que je ne suis pas apprécié, parce que je ne suis pas aimé. Une femme qui
aime un homme, et cet homme la trompe, le coeur de cette femme est blessé. Une
mère qui aime son enfant, et l’enfant lui tourne le dos, le coeur de cette
femme est blessé. Un homme qui travaille en usine, et on ne l’écoute pas, on ne
l’apprécie pas, on l’exploite, on se moque de lui, le coeur de cet homme est
blessé.
Chacun de nous, si on pénètre à l’intérieur, nous
apprenons les zones secrètes de notre vulnérabilité. Il y a des quêtes énormes
en chacun de nous. Quêtes d’abord d’être aimé : c’est quelque chose de
terriblement vulnérable. Et si nous ne sommes pas aimés, nous cherchons au moins
à être admirés. Malheureusement, beaucoup d’entre nous, nous sommes obligés de
fermer nos coeurs à l’amour, parce qu’on ne reçoit pas, ou on ne sait pas
comment faire. Alors on se tourne vers l’admiration et la puissance. Et si on
ne reçoit pas l’affection profonde dont on a besoin pour vivre... Et
l’affection, c’est une qualité d’écoute : quelqu’un qui me comprend. On
voit vite ce qui est sur le visage de quelqu’un, on voit ses mains, on entend
ses paroles. Mais chacun de nous, nous portons à l’intérieur de nous un monde
secret, le monde secret de notre coeur, le monde secret de nos émotions. On
peut deviner quelquefois ce secret : quand on voit que quelqu’un est
dominateur, quand quelqu’un refuse d’écouter, quand quelqu’un dresse des
barrières, quand quelqu’un est acariâtre, quand quelqu’un se cache derrière des
livres et derrière la loi, quand quelqu’un est incapable de regarder dans les
yeux, on devine un peu cette blessure qui est là. Que cette personne a été
blessée et qu’elle n’ose pas entamer une relation avec une autre personne.
Nous avons chacun de nous ces zones secrètes de
vulnérabilité, qu’on cache. Le prisonnier dont je parlais tout à l’heure, celui
qui voulait mordre la main de celui dont il a peur... Nous avons tous cette
peur : si quelqu’un s’approche trop de moi et découvre qui je suis,
finalement il ne m’aimera plus. C’est pour cela, il faut que nous dressions des
barrières, il faut que nous ayons des apparences. Parce que j’ai peur que les
gens ne m’apprécient plus. Il faut que j’ai une apparence d’intelligence, une
apparence de force, une apparence parfois d’amabilité. Mais je ne veux pas que
les gens découvrent qui je suis dans mon secret, parce que, s’ils me voient
dans le monde des ténèbres, dans la capacité de dépression, dans mes peurs terribles
des gens, à ce moment-là ils ne voudront plus de moi. Et c’est cela la grande
crainte, peur de chaque être humain. Se trouver seul avec ses propres limites
et sa propre pauvreté. Si vous voulez, c’est la mort spirituelle.
Jésus est venu dans un monde terriblement divisé. Il
faut saisir ce que pouvait être le coeur d’un Juif du temps de Jésus, et la
haine du peuple juif pour le peuple romain. Le peuple romain avait vaincu,
dominé ce petit peuple juif. Nous avons lu ces jours-ci ces paroles de Pilate par
rapport à Jésus : Pilate méprisait les Juifs ; Pilate faisait partie
d’un monde de puissance, il était
romain, le représentant de l’empereur, et ce petit peuple juif, c’était pour
lui des fanatiques, qui n’avaient aucune
compréhension des choses réelles. Les Romains méprisaient le peuple juif, comme très souvent les peuples
blancs peuvent mépriser le peuple noir.
J’ai entendu de mes oreilles une phrase comme
celle-ci : « Je suis allé en Inde, je ne retournerai plus ;
j’ai vu des gens mourir dans la rue ; c’est horrible, je ne retournerai
jamais. « Il faut voir ce qu’est la puissance du mépris dans une phrase
pareille . Au lieu de dire : « Je vais retourner, j’ai vu des
gens souffrir. « On dit : « J’ai vu des gens souffrir, je ne
retournerai jamais. « La puissance du mépris qui se trouve dans le coeur
de tant de femmes et d’hommes blancs, qui se rattache à toute une culture, à
toute une éducation, et qui est malheureusement presque inséré dans notre sang.
Pour ceux d’entre vous qui connaissent des pays comme
l’Afrique ... Aujourd’hui où en principe les peuples sont libérés, – je
pense à la Côte d’Ivoire, à la Haute-Volta ou d’autres pays, quand on voit les
Blancs qui sont là, avec le mépris du peuple Noir... C’est le même type de
mépris qui était chez les Romains pour le petit peuple juif.
Alors dans ce peuple juif, il y avait de la haine, une
puissance de haine : pour comprendre le temps de Jésus, peut-être qu’il
faudrait comprendre certains pays qui ont été vaincus et qui souffrent de cette
forme d’oppression. Ce petit peuple : il y avait les zélotes, qui ne désiraient qu’une chose,
c’est de mettre les Romains à la porte.
Il y avait une puissance de haine : il faut se souvenir de ces
situations épouvantables ,où les enfants ont été tués en bas-âge, peu de temps après la naissance de
Jésus,...où les autorités se servaient de la puissance romaine pour tuer des
enfants : çà, çà ne s’oublie pas ! Il y avait de la haine qui était
là . Un petit peuple méprisé.
Et dans le coeur de ce petit peuple, non seulement la
haine devant celui qui les opprimait, mais aussi un mépris total des Romains.
Parce que les Romains étaient des brutes. Le Juif au contraire a le sentiment
d’être l’élu de Dieu. D’être supérieur. Alors il y avait de la haine, il y
avait aussi du mépris. Division profonde.
S’il y avait de la prostitution au temps de
Jésus : Marie de Magdala et d’autres femmes, c’est qu’il y avait des
troupes étrangères. Vous savez, quand il y a des troupes étrangères dans un
pays, il y a nécessairement de la prostitution. Parce que l’homme n’est pas
fait pour se battre. Le coeur de l’homme est tell qu’il ne peut pas se battre
constamment. L’homme a besoin de l’affection, il a besoin d’un milieu qui soit
sécurisant et aimant. Il a besoin de la tendresse. S’il ne la trouve pas, il
faut qu’il s’achète. Il ne sait pas vivre uniquement dans un état de guerre. Ce
n’est pas possible. L’ être humain, dans le monde de la guerre, se
détruit. C’est pour cela qu’il y avait de la prostitution.
C’est parce qu’il y avait des troupes américaines au
Viêt-Nam, il y a quelques années, qu’il
y avait une recrudescence de la prostitution à Saïgon. On ne peut pas
s’attendre à ce que des troupes, des jeunes Américains, à 20 000 kilomètres de
chez eux, puissent vivre entre hommes et faire la guerre, sans jamais avoir un
moment de détente dans ce qui est de plus profond. Même s’ils doivent
l’acheter. C’est cela qui est bouleversant dans l’être humain : la
pauvreté de l’être humain. Et en même temps peut-être sa beauté : il a besoin d’être. Il a besoin de la tendresse.
La prostitution chez une Marie
de Magdala, ou d’autres, vient précisément de cette présence des troupes
romaines. Il y avait de la haine sur cette terre. Il y avait des divisions
fondamentales, telles que les divisions entre les Juifs et les Samaritains. Ce
n’était pas du tout le temps de l’oecuménisme.Un Juif ne parlait pas à un
Samaritain. Les Samaritains étaient des gens qu’on dédaignait, qui n’avaient
aucune valeur, qui étaient exclus du peuple de Dieu. Et si Jésus prenait
constamment des exemples chez les Samaritains, c’est qu’il y avait une raison.
Et la raison était précisément ce mépris des Juifs pour les Samaritaines. La
Parabole du Bon Samaritain est une parabole terriblement puissante, parce que
Jésus prend justement l’exemple de celui qui est dans la vision de Dieu sans
être du Peuple de Dieu (le Juif). Il le prend chez les Samaritains. Tout le
monde « savait » que ce peuple était sans valeur aux yeux de Dieu.
C’est pourquoi la parabole du Bon Samaritain était d’une puissance pour ceux
qui l’entendaient ! Particulièrement le fait que Jésus compare le
Samaritain avec le prêtre et le lévite.
Quand Jésus parle à la femme de Samarie, c’est une
rencontre extraordinaire. Une femme de Samarie ; la plus pauvre de toutes
les pauvres. Pauvre parce que méprisée chez les Samaritains à cause de ses
moeurs. Méprisée par les Juifs. Et c’est à elle, la pauvre des pauvres, la plus
méprisée de toutes, que Jésus dit... Quand elle dit : « Je sais que,
quand le Messie viendra, ilnous dira toutes ces choses », Jésus la regarda
et lui dit : « C’est moi ». C’est extraordinaire. Il n’y a
qu’elle ! Ce n’est qu’à la pauvre des pauvres ! Ce n’est qu’à la plus
méprisée ! La femme pauvre dans sa vie affective, méprisée chez les
Samaritains, et méprisée surtout par les Juifs... Et Jésus la regarde et lui
dit : « C’est moi, qui te parle ». C’est la seule à qui Jésus se
révèle. parce que finalement il ne se révèle qu’aux plus pauvres. Et il ne se
révèle à nous que dans la mesure où nous acceptons notre vulnérabilité et notre
pauvreté.
La division entre les riches et les pauvres. Les
paraboles que Jésus utilise, comme celle de cet homme riche qui vivait en face
de Lazare, cet homme couvert d’ulcères... Les chiens venaient lécher ses
blessures. Et l’homme riche faisait la fête. Les chiens mangeaient les miettes
qui tombaient de sa table, et Lazare aurait voulu manger un peu de ces miettes.
IL y avait comme un mur de division entre cet homme qui faisait la fête et
Lazare. Ces situations, que sûrement Jésus a vues – sinon il ne l’aurait pas
dit – existent aujourd’hui. Les murs immenses qui se dressent entre ceux qui
possèdent et ceux qui n’ont rien. Je n’ai pas besoin de dire, parce qu’on
connaît peut-être suffisamment, intellectuellement : les chiffres avec quoi
on vit, d’une part en Afrique, d’autre part dans nos pays ; entre les pays
riches et les pays pauvres... Le décalage est tellement immense que c’est
encore plus flagrant que l’exemple que Jésus a donné. Mais nous ne voulons pas
regarder !
L’homme riche ne peut pas regarder Lazare, parce que,
s’il regarde Lazare, il sera obligé de changer. Il sera obligé ! Il ne
pourrait pas maintenir son standing de vie et avoir un contact de coeur avec
cet homme. C’est pour cela qu’il doit garder une distance, une grande distance.
Quand Lazare est dans le sein d’Abraham (dans la parabole), l’homme est dans le
lieu de tourment et supplie : « Père Abraham, envoie Lazare pour
qu’il mette un peu d’eau sur mes lèvres ». Et il y a cette phrase,
extraordinaire mais terrible, d’Abraham : « Non, ce n’est pas
possible ! Entre toi et Lazare, il y a un abîme infranchissable ». Et
l’Evangile aurait pu dire : « ...comme durant ta vie il y avait un
abîme infranchissable, que tu as créé entre toi et Lazare, tu n’as pas vu, tu
n’as pas voulu regarder, tu t’es enfermé dans la prison de tes propres
conforts, sécurités et peurs ».
La division entre le riche et le pauvre est la
division la plus flagrante, aujourd’hui, si on veut ouvrir les yeux. Et
toujours, toujours, quand il y a une division de cet ordre-là, vous avez des
immenses barrières qui se dressent, parce que justement on ne voit pas, on ne
regarde pas, parce que, si on voit, si on touche, si on regarde, on sera obligé
de changer. Çà me met en cause, je ne peux plus !... Je ne peux plus
continuer à vivre de la façon dont je vis, si j’ai touché la souffrance
humaine. Ce n’est pas possible.
La division au temps de Jésus-Christ, entre les Juifs
et les Gentils, entre les Juifs et les Samaritains, entre les riches et les
pauvres, entre les bien-portants et les malades – et cette petite piscine de
Bethesda dont on parle dans saint Jean, où il y avait tous les pauvres, tous
les estropiés, et puis cet homme qui était là depuis trente huit ans, et
personne ne l’avait aidé à pénétrer dans l’eau... : c’était simplement la
« cour des miracles » des pauvres.
Le bien-portant ne veut pas s’approcher du lépreux.
Vous savez que dans tout peuple, toute communauté, il y a comme une
loi... : on a besoin de trouver celui qu’on va rejeter. C’est très mystérieux :
regardez, dans toute civilisation, il y a toujours quelqu’un, un groupe qu’on
rejette. Pour chacun de nous, c’est quelque chose à approfondir. Dans toute
communauté, il y a une ou quelques personnes qu’on rejette : le bouc
émissaire ! Toujours, toujours !
Dans le peuple indien, vous avez les lépreux. Moins
maintenant. Mais vous avez surtout les
Intouchables. Quand vous allez aujourd’hui dans les villages de l’Inde, vous
trouverez à quelques centaines de mètres du village, le lieu appelé
« sheri ». Le « sheri » , c’est le lieu des Intouchables.
Les Intouchables n’ont pas le droit de venir au puits.
Dans chaque peuple, il y a des gens qu’on rejette.
C’est quelque chose que chacun devrait approfondir : pourquoi ? Comme
chez le peuple juif, le rejet du lépreux, le rejet du pécheur. Il y avait
constamment celui qu’on rejetait. Dans nos propres pays, on s’est senti comme
obligé pendant des années, de créer des grandes institutions, dans lesquelles
on mettait des hommes et des femmes, merveilleusement ouverts au niveau de
l’amour, ralentis au niveau de la raison et simplement parce qu’ils étaient au
ralenti au niveau de la raison, on se sentait obligé de les mettre dans des
grandes institutions, à tel point qu’on trouve
encore des institutions comme aux Etats-Unis : 7000 personnes
handicapées ! Il y en a moins aujourd’hui, Dieu soit loué ! On
commence à travailler. Mais il faut essayer de comprendre ce que cela veut dire, au niveau d’un peuple qui a pu faire
ça ! Des personnes parmi les plus merveilleuses, par la qualité du
coeur... Et que tout un peuple a pu les
mettre derrière des barreaux, en les disant « déficients ». Qu’est-ce
que cela veut dire, si ce n’est un besoin de rejeter quelqu’un ?!
Depuis tant d’années, j’entends au Canada ou aux
Etats-Unis qu’il faut réformer les prisons. On l’entend partout. Allez-y
voir ! Quand on pénètre dans les prisons, vous entendez ceci :
« C’est désolant ! La prison a été faite pour 400 hommes, et en fait
nous sommes 600 ». Et quand on demande quels sont les services psychiatriques
qui sont là pour aider, on vous dit : « Oh ! il y a deux
psychiatres qui viennent trois fois par semaine, et il y a 600 hommes !
Çà, c’est des phrases qu’on entend. Et si vous commencez à en parler avec
force, vous entendez ceci dans la population – je dis : dans la
population ! – : « Non, il ne faut pas réformer ; il faut
faire attention, ils sont dangereux ! » Comme on m’a dit pour les
personnes handicapées : « Ils sont dangereux ! » Il y a
comme une sorte de besoin de toujours garder quelqu’un ... LOIN !
C’est vrai que, quand on a un certain confort, on a
peur du prisonnier, parce que c’est quelqu’un qui va peut-être voler des biens.
François d’Assise, quand l’évêque lui a dit : « Pourquoi veux-tu
vivre dans la pauvreté ? » a dit ceci : « Si je possède des
biens, je serai obligé d’avoir des armements pour les protéger ». C’est
puissant, cette phrase de François ! J’aurai besoin d’armes pour les
protéger ! Protéger mes biens.
Il y a comme un besoin profond dans l’être humain,
pour sentir qu’il est quelqu’un, de découvrir quelqu’un de plus pauvre que lui,
qu’il puisse mépriser et dont il puisse dire : « Je ne suis pas comme
lui ». Des hommes d’affaires peuvent voler dans la façon dont ils vendent
les produits ; c’est un vol sérieux, mais ils pensent toujours qu’ils ne
sont pas voleurs, parce qu’ils ne sont pas en prison. Il y a comme un besoin de
dire : « Lui est en prison. Il est donc mauvais ! »
Il faut savoir le processus du rejet humain, qui est
un besoin de garder les gens à distance et de les mépriser, de se moquer d’eux.
C’est le processus des préjugés. Et nous avons tous des préjugés. Le préjugé,
c’est : « Lui, il est mauvais et moi, je suis bon ». C’est le
processus qui peut exister dans l’amitié. C’est ce qui est le plus noble,
l’amitié, c’est une réalité humaine merveilleuse. Mais l’amitié peut devenir
très vite le club des médiocres, où on s’attache les uns aux autres et on se
flatte mutuellement. On dit : « Tu es merveilleux ! » -
« Oh non ! c’est toi qui es merveilleux ! » Et on chante
ensemble : « Nous sommes merveilleux ! »
Il y a un danger, parce que nous sommes si
vulnérables, de trouver de la sécurité dans les amis. Mais une sécurité qui
peut devenir un ghetto. Je suis bien et nous sommes bien. Mais les
autres ? L’amitié n’a vraiment de valeur que si on trouve la sécurité l’un
dans l’autre pour aller plus loin, pour marcher en avant, pour tendre nos mains
à ceux qui ne sont pas encore nos amis. Que nous soyons ouverts et que nous
ayons des coeurs d’accueil et non pas des coeurs enfermés dans la médiocrité,
qui a terriblement peur de l’autre et de la différence.
Que nous puissions découvrir un jour la beauté de
l’humanité. Au lieu de voir l’autre différent comme une menace et un danger,
découvrir plutôt qu’avec l’autre différent, on se complète. Et que c’est
merveilleux ! Avec nos tempéraments différents... Si on découvrait ça déjà
au niveau de l’homme et de la femme.
On parle beaucoup aujourd’hui de la libération de la
femme ; et c’est vrai que souvent peut-être l’homme, à cause de sa
stupidité, voulait se protéger, se croyant plus malin, et il était à la femme
qu’elle était folle et idiote. Au lieu de découvrir que la femme a une
intuition extraordinaire – l’homme n’est pas intuitif pour deux sous !
L’homme est rationnel et très bon pour organiser. Mais il est souvent trop loin
de son corps pour être intuitif. C’est pour cela que souvent l’homme, quand il
a un petit rhume, croit qu’il a une pneumonie ; il faut alors qu’il prenne
des antibiotiques. Mais la femme est beaucoup plus proche de son corps. C’est
pour cela qu’elle a des intuitions. Et l’intuition de la femme a besoin d’être
complétée par la capacité rationnelle et d’organisation de l’homme.
Je généralise, c’est évident ! Mais dans toute
généralisation, il y a une vérité, comme il y a peut-être des exagérations.
Mais ce que je veux dire, c’est que, quand quelqu’un est rationnel, il a besoin
d’être complété par quelqu’un qui est intuitif. Et l’homme a besoin d’être
complété par la femme, et la femme a besoin d’être complétée par l’homme.
Dans notre pays, les
peuples issus de la France ou de l’Angleterre auront besoin d’être complétés
par les peuples qui étaient les habitants originels de notre pays : les
Indiens, les Esquimaux. Au lieu de dire : « Il faut que tu deviennes
comme nous », découvrir l’harmonie des peuples : l’harmonie des dons
extraordinaires des peuples noirs ; la qualité de tendresse, de vérité,
qu’on trouve dans certains peuples d’Asie ; les peuples comme les
Aborigènes, qui sont un peuple étonnant de délicatesse... Et si souvent on a
peur ! On a peur de la différence.
L’homme a peur de la femme. La femme a peur de
l’homme. Les peuples ont peur les uns des autres. Ceux de langue anglaise ont
peur de ceux de langue française, et vice-versa. Les peuples indiens ont peur
de ceux qui sont issus des soi-disant civilisations d’Angleterre et de France.
Nous avons peur ! Au lieu de voir qu’on pourrait se compléter, si nous
étions suffisamment humbles et ouverts. Accueillir le don de l’autre.
Travailler ensemble. Faire un monde de paix.
Les puissances que nous mettons autour de nous, les
barrières, les peurs, cela veut dire que nous cachons notre vulnérabilité. Nous
cachons notre vulnérabilité. Il faut que je domine pour avoir un sentiment
d’être. Il faut que j’ai l’impression d’être plus capable et meilleur, pour
avoir le sentiment d’exister et de ne pas être un mort-vivant.
Jésus-Christ est venu il y a 2000 ans dans un monde
terriblement divisé. « Dieu a tellement aimé le monde – Il a tellement
aimé le monde – qu’il a envoyé son Fils bien-aimé, chéri, non pas pour
condamner ces divisions, mon Dieu ! Dieu sait ! Dieu sait notre
vulnérabilité. Et Dieu sait que, parce qu’on est vulnérable, on est obligé de
garder les gens à distance. Ça, c’est la pauvreté humaine. C’est la condition
humaine. On est tous des êtres terriblement vulnérables.
Et curieusement, plus un homme a l’air puissant et
fort, plus il est vulnérable. Cet homme qui, dans la prison, hurlait, et
donnait l’impression d’une puissance extraordinaire, en fait c’était un grand
vulnérable. Plus l’homme apparaît comme dur de coeur – un patron d’usine, qui
passe tout son temps à crier et à ne chercher que la productivité, en réalité
il cache un coeur d’enfant vulnérable. Nous sommes tous des coeurs vulnérables.
Et plus nous montrons ou nous voulons montrer notre
puissance, plus en réalité nous sommes en train de cacher une vulnérabilité non
assumée. On ne sait pas quoi faire avec. Et c’est cette vulnérabilité non
assumée qui crée les frontières, les barrières, les murs de prisons, les murs
de ces hôpitaux dans lesquels on a enfermé tant d’hommes et de femmes
handicapés, tous ces murs qu’on a dressés autour des ghettos, les murs qu’on
dresse entre les pays riches et les pays pauvres, tous ces murs qui sont à
l’intérieur de moi et qu’on appelle des blocages. Où on est incapable de
regarder les gens dans les yeux, où on se bloque, où on refuse d’écouter, où on
crée ce monde de barrières... Et je m’enferme dans mon petit monde de confort.
Et je critique. Je vois la poussière dans l’oeil de l’autre., mais je ne vois
pas le tronc d’arbre qui est dans le mien. Je projette sur les autres toutes
les choses que je n’aime pas à l’intérieur de moi-même.
Quand quelqu’un utilise l’argument de la langue, la
critique... Ça, c’est une réalité dont il est important de prendre conscience
dans une retraite : qui sont les personnes que je critique ? Avec qui
suis-je agressif ? Très souvent on est agressif par rapport à l’autorité.
C’est une maladie très particulière de l’adolescence vulnérable. Et on est tous
adolescents... sous un angle. Tant que je n’ai pas pu trouver cette maturité
dans le dialogue avec l’autorité...
Ou bien l’autorité qui a peur, qui se ferme et qui
refuse le contact. Se sentant incapable d’écouter ceux dont ils sont
responsables. Des parents qui se ferment, qui n’osent pas écouter le cri de
l’enfant, qui n’entendent pas ce qu’il dit, qui vont imposer leurs idées...
Incapables d’écouter la liberté.
Parce qu’ils veulent que leurs enfants soient
parfaits, au lieu d’écouter et de démêler ce qui est un mélange, comme en
chacun de nous, de haine et d’amour, d’égoïsme et d’amour, de ténèbres et de
lumière.
Jésus est venu sur cette terre pour faire tomber les
barrières qui séparent les hommes entre eux. Jésus est venu pour prêcher la paix.
Jésus est venu pour que les barrières d’hostilité tombent, pour que les gens se
rencontrent. IL est venu pour réconcilier les hommes avec le Père et les
réconcilier entre eux. C’est cela l’oeuvre de Jésus-Christ.
Saint Paul, dans l’épître aux Ephésiens, le dit d’une
façon si belle et si puissante, en prenant l’exemple des deux mondes qu’étaient
le monde des païens et le monde des Juifs. Il écrit à des Ephésiens, des
païens, qui par la suite ont connu Jésus. Il dit ceci : « Mais
maintenant, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus
proches, par le sang du Christ, car c’est lui qui est notre paix, lui qui, des
deux mondes, des deux peuples » – et derrière ce terme de
« peuple », on pourrait dire : riches et pauvres, bien-portants
et personnes handicapées ; on pourrait mettre : peuple blanc et
peuple noir ; on pourrait dire : peuple indien et peuple blanc...
Toutes ces divisions si profondes qui existent.
« Lui qui, des deux mondes, en a fait un seul, il
a détruit le mur qui les séparait : la haine ! Abolissant dans sa
chair la Loi avec ses commandements et décrets » – tout ce qui faisait que
le peuple juif était contenu dans son propre ghetto –. « Il a voulu ainsi,
faisant la paix, de ces deux hommes, créer en lui un seul homme nouveau, et par
la croix tuer en lui la haine, les réconcilier avec Dieu, tous deux en un seul
corps, une seule humanité, une seule Eglise. Et il est venu vous annoncer la
paix, à vous qui étiez loin, la paix aussi à ceux qui étaient proches. Car
c’est par lui que, les uns et les autres, nous avons accès en un seul Esprit
auprès du Père ». L’oeuvre de Jésus : « Le Père a tant aimé le
monde qu’il a envoyé son Fils unique », non pas pour nous condamner, dans
nos peurs, nos violences, nos barrières, nos préjugés... non pas pour nous
juger, mais au contraire pour nous sauver (cf. Jn 3,16-17).
Et il nous sauve, non pas en nous disant de faire
descendre les préjugés, non pas en nous faisant descendre les barrières, mais
il le fait en nous touchant dans notre vulnérabilité. Parce que, quand la
présence de Dieu se révèle à notre vulnérabilité, on n’a plus peur. Et c’est de
soi-même qu’on fait tomber les barrières. Parce qu’on découvre qu’on est aimé
de Dieu. On est aimé dans notre vulnérabilité. C’est vrai qu’on est petit,
chacun de nous. C’est vrai qu’on est fragile. On n’a pas besoin de prétendre.
On n’a pas besoin de montrer qu’on est plus malin que le voisin. On est tous
pareils. Et si je suis aimé de Dieu, je n’ai pas besoin de faire croire au
voisin que je suis mieux. J’ai découvert ce qui est au coeur de l’Univers,
c’est-à-dire l’unité fondamentale entre tous les hommes et toutes les
femmes ; et qu’on est aimé de Dieu. Et que c’est lui notre soutien et
notre défenseur dans notre vulnérabilité. Je n’ai pas besoin de créer ces murs.
C’est lui qui me défendra. Comme un père, une mère, qui soutient et porte son
enfant.
Alors je peux accepter d’être vulnérable. Parce que ma
vulnérabilité, loin d’écarter Dieu de moi, au contraire l’attire. Il prend
place dans la terre vulnérable de mon être. Je n’ai pas besoin de prétendre que
je ne suis pas vulnérable : nous cheminons vers cette vulnérabilité totale
qui est la mort. C’est inscrit dans notre être. On a tous cette vulnérabilité
profonde de nos coeurs d’hommes et de femmes en quête d’être aimés. Et Dieu,
non seulement a envoyé son Fils unique pour nous toucher dans notre
vulnérabilité, mais Jésus dans ces triples mots : « Viens ! » –
« Demeure avec moi ! » – « Va ! »,
comme le Père a envoyé son Fils, lui aussi nous envoie, pour révéler aux hommes
qu’ils ont le droit d’être vulnérables, mais qu’ils sont aimés. Et quand ils
découvrent qu’ils sont aimés, ils font tomber les barrières. La haine
disparaît. C’est l’oeuvre de Jésus, de nous envoyer, pour que nous soyons ces
hommes et ces femmes qui continuent l’oeuvre de Jésus, qui fait oeuvre de
réconciliation : faire tomber les barrières qui séparent les hommes, faire
que l’humanité devienne un corps, le Corps mystique de Jésus ; un Peuple,
un Troupeau, une Eglise, une communauté d’hommes et de femmes qui ont la même
foi et la même confiance, et par le fait même, vivent dans la paix de Dieu.
Jean Vanier – 3e
conférence : Etre un berger
Un sujet qui nous touche beaucoup et qui est peut-être
un des sujets les plus graves de notre monde. Et cela me touche
personnellement. C’est la question de l’exercice de l’autorité. L’exercice de
la paternité et de la maternité. « Etre un berger ».
C’est particulièrement important à notre époque. Et
grave. Parce que l’autorité à notre époque est bafouée. Et on a essayé à tout
prix de couper l’autorité de la tendresse, pour que l’autorité ne devienne plus
que l’exercice ou l’imposition de la loi.
Pour ceux qui sont préoccupés de cette question, il
est important de regarder ce qu’ont dit des gens comme Marcuse, dans le sens
opposé de ce que moi je vais dire. Vous avez actuellement toute une technique
qu’on développe pour affaiblir et tuer l’autorité. C’est une technique mise au
point par des gens qui connaissent le processus de la révolution. Pour l’affaiblissement
de l’autorité, il faut la couper de toute tendresse. Epoque où Freud a mis
fortement l’accent sur l’oppression parentale. Maintenant on parle beaucoup de
la mort du père. A tel point que si la psychologie moderne a beaucoup insisté
sur le rôle de la mère, à notre époque il y a une crise de paternité, et le
père ne sait plus son rôle. Cela amène des catastrophes.
Ce rôle de l’autorité, nous le vivons chacun de nous
dès que nous sommes proches et responsables d’un autre être humain. Ce n’est
pas facile d’être aujourd’hui un père ou une mère. Ce n’est pas facile
aujourd’hui d’être responsable d’une classe d’enfants. Ce n’est pas facile
aujourd’hui d’être responsable d’autres personnes... soit qu’on soit
responsable d’une communauté, soit qu’on soit prêtre, évêque, pape.
Et nous avons besoin aujourd’hui de demander
profondément à l’Esprit-Saint d’éclairer nos coeurs, de fortifier nos esprits,
pour que nous puissions pénétrer dans ce domaine. Je dis cela avec beaucoup de
tremblement et de crainte parce que je suis moi-même responsable d’une
communauté de 400 personnes ; et je suis bien conscient de mes lacunes et
de mes propres ambiguïtés dans ce domaine.
Nous qui exerçons un certain pouvoir, qui avons une
certaine autorité, une certaine responsabilité, nous pouvons voir à l’intérieur
de nous, à la fois les fuits, les démissions, les craintes devant celui dont on
est responsable, parce qu’on a peur des histoires, de la contestation... Et à
ce moment-là il y a la démission. Et à notre époque c’est particulièrement
l’âge de la démission en face de la contestation.
Ou bien on devient tyran, dominateur, refusant toute
contestation, refusant d’être purifié, croyant toujours avoir raison. Et quand
on fait cela, on se sépare de ceux dont on est responsable et on s’enferme dans
son bureau. On met en face de soi un énorme bureau pour garder les gens très
loin de soi.
C’est difficile de trouver la vérité, entre la
démission devant la contestation, devant la difficulté de la responsabilité, et
d’autre part l’exercice abusif du pouvoir, avec les fuites...
C’est le point aujourd’hui le plus complexe, le plus
difficile. Peut-être à toute époque ? C’est peut-être en nous le domaine
le plus difficile à baptiser. C’est-à-dire à exercer vraiment dans l’esprit de
Jésus-Christ. Parce qu’il y a des phénomènes à l’intérieur de nous, qui font
qu’on veut dominer l’autre, pour trouver : « Je suis plus capable que
lui, je suis mieux ». Il y a en nous une sorte de soif d’avoir le succès,
le prestige, de n’être mis en cause par personne.
C’est pour cela que, dans une journée comme
aujourd’hui, qui précède une célébration pénitentielle, la demande du pardon,
il faut que nous ayons le courage, chacun de nous, et moi le premier, de
regarder à l’intérieur de soi-même, pour découvrir toute l’hypocrisie, la
domination, toutes les démissions qui existent en nous.
L’autorité,
c’est quelque chose d’extraordinairement beau. Et peut-être on oublie cela.
C’est rendre présente la paternité
divine. Parce que toute autorité, toute paternité vient de Dieu. Et c’est
terriblement exigeant. C’est une voie royale de sainteté, d’être un papa ou une
maman. C’est une voie royale de sainteté, d’assumer aujourd’hui mes
responsabilités en face d’autres. Si on exerce bien la paternité, on apporte
véritablement la libération. Si on exerce mal la paternité (j’assimile là la
maternité à la paternité, c’est-à-dire l’exercice d’un pouvoir – et peut-être
on aura l’occasion de voir la différence entre la paternité et la maternité –
... Mais si on l’exerce bien, c’est quelque chose d’extraordinaire et de
libérant.